Annick Billon
Annick Billon
Annick Billon
Annick Billon
Annick Billon
Annick Billon
Annick Billon
Annick Billon

«Porno, l’enfer du décor» : mercredi ont été présentées les recommandations du rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat consacré à l’industrie de la pornographie. Conduits par les sénatrices Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (communiste) et Laurence Rossignol (socialiste), ces travaux font suite à la déflagration provoquée dans ce secteur par la révélation de plusieurs affaires sordides ces derniers mois, et formulent une vingtaine de recommandations.

«Trash». Les sénatrices recommandent notamment la création d’un nouveau délit «d’incitation à une infraction pénale», en cas de violences sexuelles commises «dans un contexte de pornographie». Il est également question de former les forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces «victimes spécifiques», et de créer une catégorie dédiée aux violences sexuelles sur la plateforme de signalement Pharos. «Il est temps de responsabiliser les sites, ainsi que celles et ceux qui visionnent ces contenus», a plaidé Laurence Cohen.

Dans leurs travaux, les autrices se sont aussi intéressées aux conditions de travail du secteur. «Cette massification de la diffusion du porno a contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus "trash" et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits», pointent les sénatrices. Le rapport relève en outre que, bien souvent, les actrices exercent sans statut clair ou contrat de travail. Avocat en droit de la propriété intellectuelle et en droit des médias, maître Matthieu Cordelier, auditionné par la délégation, distingue trois types de régime : «Des professionnels qui respectent une forme de déontologie ; des petites boîtes de production, parfois issues du monde libertin, et qui ont à cœur de bien faire les choses ; et tout un pan nauséabond, qui souvent se prétend amateur et ne respecte aucun droit.» Dans cette dernière configuration, explique-t-il, les participantes, souvent jeunes et vulnérables, cèdent leur image «pour l’éternité», contre 300 euros pour une demi-journée de tournage, et se trouvent face à un mur quand elles tentent de faire valoir leurs droits et d’obtenir le retrait de ces images, jusqu’à être victimes de chantage ou de tentatives d’extorsion de fonds, comme certaines victimes que l’avocat a accompagnées dans leurs démarches. D’où la nécessité, pointe le rapport, de «faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli», notamment en imposant «aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées», en imposant des amendes à ceux qui diffuseraient des contenus illicites.

Mineurs. Plusieurs professionnels du porno tentent, de leur côté, de répondre à cette crise. Ex- actrice désormais réalisatrice et productrice, Liza Del Sierra a contribué à la création d’une charte déontologique, appliquée depuis avril 2021 par de grands groupes comme Dorcel ou Canal +. Elle prévoit entre autres la création d’un contrat préalable à toute prestation, dans lequel sont inscrits le type de pratiques sexuelles prévues, le nombre de partenaires, la rémunération, la présence d’une coordinatrice d’intimité sur le tournage (sorte de chaperon chargé de veiller au bon déroulement), et le retrait à tout moment du consentement des protagonistes sans risque de pénalité. «Une petite révolution», vante-t-elle auprès de Libération. Si elle encourage à «enquêter sur les affaires en cours, qui sont graves», la jeune femme exhorte aussi à ne pas «s’en emparer pour moraliser tout un secteur dans une dérive liberticide, ou laisser la place aux abolitionnistes. Il y aurait alors un risque réel de voir le milieu devenir plus précaire. Plus on marginalise plus les dérives et les mises en danger risquent d’être nombreuses.»

Cependant, cette charte n’est pas contraignante. Qu’en est-il des contrôles ? Qui pour les réaliser ? Grégory Dorcel, directeur général de la société de production du même nom, assure être «en discussion avec des associations spécialisées» pour effectuer des contrôles inopinés du respect de ces engagements chez les producteurs avec qui il collabore, en France et à l’étranger.

«Nous nous sommes engagés à ce que d’ici quatre ans, 100 % de nos fournisseurs répondent à ces engagements, promet-il. Ce type de chartes ne semblent pas avoir convaincu les sénatrices, qui y voient des mesures «largement marketing».

Autre point crucial : l’accès des sites porno aux mineurs. En France, on recense chaque mois 19 millions de visiteurs uniques sur des sites pornos. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans auraient déjà eu accès à ce type d’images. Elles exhortent ainsi l’Arcom (autorité de régulation de la communication audiovisuelle, issue de la fusion du CSA et de Hadopi) à adopter une «démarche plus proactive» : à étendre son champ de compétences pour permettre à ses agents de constater les sites qui seraient en infraction avec la loi sans avoir à passer par un huissier, et «prononcer des sanctions administratives aux montants dissuasifs» à leur encontre. Car si, théoriquement, les sites sont censés s’assurer de la majorité de leurs visiteurs, dans les faits, estiment les autrices, «il suffit souvent d’un clic». D’où la nécessité, plaident- elles, d’établir «un processus de certification et d’évaluation indépendant des dispositifs de vérification d’âge».

Par Virginie Ballet
Libération

En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation de cookies destinés à améliorer la performance de ce site et à vous proposer des services et contenus personnalisés.

X