Annick Billon
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Comment expliquez-vous qu’il n’y ait jamais eu de travail parlementaire sur le sujet de la pornographie avant ce rapport ?

Une majorité de personnes n’a pas vu l’évolution de la pornographie de ces quinze dernières années. Au début des années 2000, il y a eu une modification spectaculaire, avec la massification de la production, de la distribution et également de la consommation. Parce que la pornographie s’est déplacée de la télévision vers les chaînes tubes dans les années 2006-2008 qui ont révolutionné l’accès.

Qu’entendez-vouspar « chaînes tubes » ?

C’est Pornhub et YouPorn, les deux principaux acteurs, qui proposent des vidéos avec un accès gratuit, qui envoient parfois vers d’autres sites. La naissance de ces chaînes a révolutionné la pornographie et a fait que ce système est devenu extrêmement opaque et incontrôlé.

Vous parlez d’une industrie « de masse ». Est-ce que vous pouvez donner la mesure du phénomène ?

Une recherche sur huit sur un ordinateur concerne de la pornographie ; sur smartphone, c’est une recherche sur cinq. En France, ce sont 20 millions de visiteurs uniques par mois. Pornhub, c’est quasiment 9 millions de visiteurs par mois. Et au niveau mondial, on estime que le marché du X aujourd’hui, c’est un chiffre d’affaires de 8 milliards de dollars.

Qu’avez-vous découvert au bout de ces six mois d’enquête ?

C’est qu’il y a une certaine porosité entre pornographie, proxénétisme et prostitution. Nous avons auditionné les actrices de French Bukkake (plateforme de vidéos pornographiques dont des acteurs ont été placés en garde à vue, hier, pour traite d’êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé), à huis clos et avec leurs avocates – puisque l’affaire est en cours – et on voit bien qu’il y a un système de prédation et de recrutement de personnes vulnérables mis en place.

Avez-vous constaté une différence entre les producteurs amateurs et les professionnels du secteur ? Certains ont mis en place des chartes éthiques.

On ne peut pas parler de pornographie éthique, parce que ça veut dire accepter la pornographie. Cependant, nous n’avons pas retenu une ligne abolitionniste dans le rapport. Aller vers l’interdiction, ce n’est pas réaliste. On ne voulait pas non plus être sur une ligne « réglementariste » : contrats de travail, coordinateurs d’intimité sur les tournages… Des mesures qui sont, à notre sens, cosmétiques.

« Il faut protéger les enfants »

Quelle est votre ligne ?

Ce qu’on souhaite absolument, c’est imposer dans le débat public cette lutte contre les violences pornographiques. Aujourd’hui, ce n’est pas un sujet dans la société. D’ailleurs, certaines de nos auditions ont été tournées en ridicule lorsqu’il y a eu des mots un peu crus prononcés par ma collègue (Laurence Rossignol, PS). Mais je peux vous assurer que ce qu’on a vu, entendu, c’est absolument abject et ça ne porte pas à rire.

Quelles sont vos préconisations ?

Nous suivons quatre axes. Le premier, je l’ai dit, c’est imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques. Par exemple, favoriser l’émergence des plaintes pour viol dans un cadre pornographique. Aujourd’hui, comme pour le viol conjugal il y a quelques années, dans l’esprit des gens, ça n’existe pas. Ce n’est pas parce qu’une actrice a signé un contrat, parfois sous la contrainte, qu’il ne peut pas y avoir viol. Le consentement doit être réversible. Nous avons un volet sur la suppression des contenus illicites et le droit à l’oubli. Nous avons reçu des femmes qui sont harcelées parce que les vidéos circulent toujours. Parce qu’elles étaient dans une précarité financière, elles ont fait une vidéo, elles ont gagné 300 € à 500 € et on leur réclame 4 000 € ou 5 000 € pour retirer la vidéo.

L’accès des mineurs à la pornographie est un sujet majeur ?

Il faut appliquer enfin la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger les jeunes. Globalement, il suffit de cliquer « j’ai 18 ans » pour accéder à des contenus d’une violence extrême. Les chiffres sont effrayants : un tiers des enfants de moins de 12 ans ont été exposés à la pornographie. Et puis l’éducation, il y a une loi qui oblige à l’éducation à la sexualité, à la vie affective. Il est temps qu’on adapte l’éducation à la sexualité dans les programmes, à la réalité de ce que vivent les enfants. Et adapter les contenus pour l’égalité femmes hommes, parce que dans tous ces travaux, il ressort que la femme est forcément soumise, forcément maltraitée et ça va très très loin. Il faut que les gens se rendent compte : lorsque vous voyez à l’écran une femme qui hurle de douleur, c’est vrai, ce n’est pas du cinéma, c’est la réalité.

Vous brossez un tableau très sombre. Comment avancer sur le sujet ?

On sera tous d’accord pour dire qu’il faut protéger les enfants. Il faut déjà qu’on ait cette prise de conscience générale. Il va falloir ensuite trouver les outils collectivement. On n’avancera jamais dans la lutte contre les violences intrafamiliales si on n’arrive pas à s’attaquer à la pornographie. Telle qu’elle est consommée aujourd’hui, c’est une machine à faire beaucoup de dollars, à broyer des femmes et à véhiculer une image dégradante des femmes. Et parce qu’on est en train d’éduquer nos enfants aux relations sexuelles par la pornographie. Ce que je constate, c’est que toutes les limites morales, éthiques, légales, qu’on s’impose sur le petit écran ou sur le grand écran pour le cinéma traditionnel, la pornographie s’en affranchit.

Recueilli par Céline BARDY.
Ouest France

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