Annick Billon
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Congé pour endométriose de Carrefour : un « effet d’annonce » mais qui demeure un « bon signe » pour Annick Billon et Laurence Rossignol

Le 18 avril, Carrefour annonce qu’il octroiera dès l’été 2023 douze jours d’absence autorisée en cas d’endométriose. Une politique qui fait date, puisque l’enseigne de la grande distribution est la première grande entreprise en France à s’y essayer. Mais cette annonce, faite au moment où le congé menstruel a le vent en poupe, soulève cependant des doutes du côté des membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui attirent l’attention, plus largement, sur les conditions de travail et les contrats des femmes dans ce secteur.

Annonce choc. Le 18 avril, l’enseigne de grande distribution française Carrefour annonçait la mise en place de mesures inédites envers ses salariées à l’été 2023 : jours d’absence autorisée en cas d’endométriose, congé en cas de fausse couche ou de procréation médicalement assistée (PMA), grand plan de sensibilisation de ses employés. Date bien particulière, puisque le même jour, l’entreprise était condamnée à verser 100 000 euros d’amende pour homicide involontaire, après la mort d’un cariste dans un de ses entrepôts en 2019. Plus globalement, si Carrefour est une des premières parmi les grandes entreprises à souhaiter mettre en place de telles mesures, la prise en compte des sujets des règles et de l’endométriose sont en nette progression en France, particulièrement dans le monde politique.

L’endométriose et la santé des femmes au travail : des sujets de plus en plus présents dans le débat public

L’endométriose est une maladie qui concerne en France entre 1,5 et 2,5 millions de femmes, mais elle n’est que très récemment entrée dans le débat public. Et au-delà de l’endométriose, ce sont les sujets qui ont trait aux règles ou aux conséquences de la grossesse et de la maternité, mal connus et tabous, qui prennent peu à peu leur place dans les politiques publiques.

Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise et rapporteure, pour la délégation, d’un rapport d’information sur la santé des femmes au travail, se réjouit de cette progression : « Aujourd’hui, les règles rentrent de plus en plus dans la conversation courante. Avant, tout le monde pouvait dire ‘j’ai un rhume’, mais les femmes ne pouvaient pas dire ‘j’ai mes règles’. C’est moins le cas aujourd’hui ».

« Sur le principe, c’est une bonne chose de parler d’une maladie féminine »

L’annonce de Carrefour suscite des réactions mitigées de la part des sénatrices. « Sur le principe, c’est une bonne chose de parler d’une maladie féminine, mais il y a d’autres manières de traiter le sujet pour garantir l’égalité hommes femmes en entreprise », réagit la sénatrice centriste de la Vendée et présidente de la délégation aux droits des femmes Annick Billon, d’autant que l’endométriose est une maladie relativement mal connue du grand public et du corps médical. Laurence Rossignol voit aussi comme un bon signe ce genre d’annonces : « On avance, […] cette maladie est devenue un sujet de santé publique, alors qu’avant c’était un sujet de souffrance individuelle pour les femmes ».

« C’est un effet d’annonce »

Mais attention, car si les sénatrices saluent la plus grande visibilité de l’endométriose dans l’espace public, elles ne sont pas pour autant séduites par la proposition de Carrefour. En effet, pour en bénéficier, les femmes devront obtenir une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ou bien une carte d’inclusion ou une attestation d’invalidité délivrée par la Cnam. Pas les plus simples, ni les plus rapides des démarches. Une opération de pinkwashing, donc ? Pour Laurence Rossignol, c’est certain, c’est un « effet d’annonce ». Pour Annick Billon, « c’est une opération de communication intéressante », mais elle ne se dit « pas persuadée qu’octroyer ce congé soit bénéfique à l’emploi des femmes ».

« Il faut mettre en parallèle cette annonce avec le type de contrats qu’ont les femmes »

Annick Billon insiste, il ne suffit pas de mettre en place des congés : « Il faut mettre en parallèle cette annonce avec le type de contrats qu’ont les femmes : elles sont très nombreuses à travailler à temps partiel avec des temps hachés. Dans ce type d’entreprise [les grandes et moyennes surfaces, ndlr], des primes annuelles à l’assiduité sont versées. Je ne suis pas persuadée que ce congé soit la bonne solution, car ces primes sont assez importantes pour des métiers aux temps hachés, partiels, et aux salaires pas très élevés ».

En effet, le secteur de la grande distribution est connu pour ses conditions de travail difficiles. C’est ce qu’expliquait, devant la délégation aux droits des femmes le 6 avril dernier, Guillaume Boulanger, Responsable Unité Qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations à Santé publique France. Selon lui, dans ce secteur où 58 % des salariés sont des femmes, les gestes sont très répétitifs, et les accidents du travail et maladies professionnelles sont importants, alors même que nombre de ces dernières ne sont pas reconnues. D’après les travaux scientifiques cités par l’expert, « les femmes salariées de la grande distribution présentent des troubles musculosquelettiques plus importants que celles des autres secteurs ».

« On a besoin de mieux connaître les problématiques ciblées des femmes »

Au Sénat, le sujet de la prise en compte de la santé des femmes au travail fait l’objet d’un rapport de la part de la délégation aux droits des femmes. Elle a déjà mené de nombreuses auditions sur le sujet depuis la fin de l’année 2022 : chercheurs, personnel soignant, syndicalistes [retrouvez nos articles sur le sujet]. « On a besoin de mieux connaître les problématiques ciblées des femmes pour y apporter des réponses, partagées par les femmes et par les entreprises », explique Annick Billon. « On ne peut pas imaginer un traitement de la santé des femmes au travail à géométrie variable selon l’entreprise ».

Congé menstruel : une mesure qui ne fait pas consensus

Le congé menstruel s’est imposé dans le débat public ces derniers mois. Le 16 février dernier, l’Espagne a ouvert la voie en Europe en adoptant un arrêt maladie rémunéré en cas de règles invalidantes. En France aussi, l’exécutif a fait des propositions. Le 7 mars, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé, dès 2024, le remboursement pour les moins de 25 ans des protections périodiques réutilisables. En 2022, le gouvernement avait présenté une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. Le Parlement n’est pas en reste sur le sujet : une proposition de loi visant à instaurer un congé menstruel a été déposée le 18 avril au Sénat par la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret, une autre est en cours de rédaction à l’Assemblée nationale.

Enfin, l’idée de jours d’absence liés aux règles essaime chez les employeurs. Ainsi, en mars 2023 la mairie de Saint-Ouen a annoncé l’expérimentation du congé menstruel pour ses agentes. De leur côté, plusieurs petites et moyennes entreprises ont déjà pris la mesure.

Mais l’instauration d’un congé menstruel ne fait pas l’unanimité. En effet, pour certaines associations, dont Osez le féminisme, ce type de mesure risque de freiner l’embauche des femmes dans les entreprises. Annick Billon reconnaît aussi qu’il « pose des problèmes » : il ne tient pas compte du secret médical, et il peut être « stigmatisant envers l’emploi des femmes ».

Laurence Rossignol ne partage pas cet avis. « On est toujours pris entre la nécessité d’adapter le cadre de travail à la spécificité de la santé des femmes, et le risque de discrimination. Je ne crois pas qu’il faille raisonner comme ça aujourd’hui », explique-t-elle. Pour elle, le sujet le plus important, quand on parle de congé menstruel, c’est de supprimer le délai de carence qui existe aujourd’hui en cas d’arrêt maladie. « La question des règles douloureuses pendant le travail a été évoquée avec les autres rapporteures », confie la sénatrice de l’Oise, « le sujet sera traité ». Mais attention, « le cycle d’auditions n’est pas fini donc nous n’avons pas encore de propositions officielles », temporise Annick Billon. Il faudra s’armer d’un peu de patience, donc.

Par Mathilde Nutarelli
Public Sénat

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