Dérives relatives au "permis de faire"
Question écrite du 11 octobre 2018
Mme Annick Billon appelle l'attention de M. le Premier ministre sur les dérives relatives au « permis de faire » dont l'élaboration en cours fait suite à l'adoption de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance (dite loi ESSOC).
Le « permis de faire » prévu à l'article 49 de la loi ESSOC permet en effet de déroger à certaines règles de construction sous réserve que le maître d'ouvrage apporte la preuve qu'il parvient, par les moyens qu'il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l'application des règles auxquelles il a dérogé et que ces moyens présentent un caractère innovant.
Cependant, certains intervenants et donneurs d'ordres tentent de profiter de la rédaction de l'ordonnance relative au « permis de faire » pour s'exonérer des dispositions de la loi ESSOC, en particulier s'agissant des obligations d'atteindre des résultats équivalents.
Ainsi, l'union sociale pour l'habitat (USH) a écrit à la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) pour indiquer qu'elle tenait à ce que les articles L. 111-9 et L. 111-10 du code de la construction et de l'habitat (CCH) puisse faire l'objet du « permis de faire » contredisant pourtant les conclusions du groupe de travail « performance énergétiques et environnementales » qui considérait que « les normes relatives à la performance énergétique étant d'ores et déjà libellés sous forme d'obligation de résultats, aucune norme en la matière ne serait susceptible de faire l'objet du “permis de faire” ».
Aussi, une telle position revient à œuvrer en faveur de la dégradation de la performance énergétique des logements sociaux et à accentuer drastiquement la précarité énergétique contre laquelle lutte précisément le Gouvernement.
C'est pourquoi elle souhaite connaître les dispositions que le Premier ministre compte prendre pour empêcher une telle dérive. Le logement social ne peut être synonyme de passoire thermique, au risque, notamment, d'augmenter la fracture énergétique des plus démunis et de contredire les engagements de la France en matière de transition énergétique.
Réponse de Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
L'article 49 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (dite loi « ESSOC ») autorise le Gouvernement à prendre deux ordonnances afin de faciliter l'innovation technique et architecturale. La première ordonnance (ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l'innovation) cadre les modalités selon lesquelles les maîtres d'ouvrage peuvent réaliser des projets de construction en mettant en œuvre des solutions d'effet équivalent aux dispositions constructives applicables à l'opération. Ces solutions ne seront autorisées que sous réserve d'apporter la preuve de l'atteinte de résultats équivalents aux dispositions constructives auxquelles il est dérogé. Cette ordonnance est prise dans l'attente d'une seconde ordonnance qui a pour objectif de réécrire le code de la construction et de l'habitation selon une logique de résultats et dont l'entrée en vigueur est prévue d'ici à quinze mois. Les solutions d'effet équivalent ne peuvent en aucun cas aboutir à une baisse de la performance que l'application de la réglementation en vigueur permet d'atteindre et ce, quel que soit le domaine ciblé. Les opérations s'inscrivant dans la démarche de la première ordonnance ne subiront aucunement une dégradation de leur performance énergétique. Il en est de même pour les autres dispositions constructives entrant dans le champ d'application de cette ordonnance. Il semble nécessaire de rappeler qu'au cours de la concertation menée avec les acteurs en lien avec le conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), un groupe de travail fut spécifiquement dédié à la question de la performance énergétique et environnementale des bâtiments. Il a été convenu dans ce groupe de travail d'exclure du champ de l'ordonnance les domaines suivants : la réglementation thermique par élément pour les bâtiments existants, les objectifs de résultats de la réglementation thermique pour les bâtiments neufs (Bbio, Cep et Tic) et les dispositifs d'attestation du respect de la réglementation. Il sera précisé dans le décret d'application que les exigences de résultats déjà inscrites dans la réglementation thermique pour les bâtiments neufs ne pourront pas faire l'objet de solution d'effet équivalent. Ce même groupe de travail du CSCEE a établi la pertinence de conserver la thématique de la performance thermique du bâtiment dans le champ de l'ordonnance, compte tenu d'exigences de moyens qu'elle contient : exigence de 1/6ème de parois vitrées, dont l'objectif sous-jacent correspond à des apports solaires minimaux ; exigence de chauffage qui peut être superflue pour un bâtiment dont la conception bioclimatique est particulièrement poussée (bâtiment passif) ; éventuelle dérogation à des éléments du moteur de calcul si ces derniers s'avèrent insuffisants pour évaluer le réel potentiel du bâtiment. Le groupe de travail a également insisté sur la nécessité de respecter les directives européennes et tous les objectifs de résultats visant à maximiser la sobriété des bâtiments, limiter les consommations en énergie primaire, assurer le confort d'été et la perméabilité à l'air des bâtiments. Enfin, il a été rappelé que la non-performance énergétique pouvait être un motif d'impropriété à destination (engageant la garantie décennale), ce qui représente une sécurité quant au maintien de la qualité de conception énergétique des bâtiments. Le contrôle prévu par l'ordonnance est multiple et renforcé par rapport au droit commun. Le premier contrôle a lieu avant la demande d'autorisation d'urbanisme par un organisme indépendant du projet qui vérifie l'équivalence de résultat atteint par la solution proposée. Selon la thématique sur laquelle porte la solution d'effet équivalent, cet organisme peut être : un contrôleur technique agréé, le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ou un bureau d'étude qualifié par un organisme agréé par le comité français d'accréditation (COFRAC). Ainsi, la compétence de l'organisme délivrant l'attestation est assurée. Tout au long des travaux, un contrôleur technique s'assure de la bonne mise en œuvre de la solution et en atteste auprès de l'autorité compétente à l'achèvement des travaux. Le projet reste par ailleurs soumis au contrôle régalien des règles de construction (CRC). Tout ce processus est de plus sécurisé par les régimes d'assurances des acteurs ainsi que par le respect de l'indépendance des entités de contrôle vis-à-vis du projet. Pour toutes ces raisons, les acteurs qui se sont montrés inquiets à l'idée d'une baisse de la qualité énergétique des bâtiments peuvent être rassurés.